[VS6] Sur le fil du rasoir.




"Parfois les circonstances t'obligent à te faire tout petit.

Les versets de la survie ne te demandent pas de jouer les fiers à bras,
comme ces imbéciles qui se croient obligés de prouver leur courage en clamant leur colère à la face de leurs bourreaux.

Ils te recommandent d'observer les usages de ceux qui te sont momentanément supérieurs,
de tirer le meilleur parti de l'environnement et des circonstances.

Garde le sens de l'honneur enfoui dans les profondeurs de ton esprit,
revêts-toi d'une armure d'humilité, de lâcheté s'il le faut.

Et, dans le même temps, rassemble les forces mises à ta disposition par les ancêtres."


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Eljune, par une belle matinée estivale.
Le ciel est bleu, sans nuages. Un brise fraiche et légère venait compléter le décor. La journée aurait bien commencé pour l'Arisen si une rangée de soldats impériaux ne l'avaient pas attendu, arbalète en joue, à l'arrivée du téléporteur au camp de Kotelny. Un petit chef gesticulant et éructant des ordres venait agrémenter la scène. Grouchy... ou Grosky. Peu importe. Eskarioth n'appréciait guère ce genre d'individu, s'étant élevé dans la hiérarchie militaire jusqu'au maximum de ses compétences. C'est à dire pas très haut. Un sous-officier de bas étage qui évacuait sa frustration d'être bloqué à vie à ce grade en usant - voire en abusant - de son pouvoir à chaque fois que cela lui étaitp possible. Aujourd'hui, il regardait le sorcier avec un large sourire.

"Camarade Lieutenant Eskarioth Amkesh,
Vous êtes en état d'arrestion pour suspicion de complot envers notre bien-aimé empire !
- Allons bon. Et sur quels faits vous basez-vous.... Camarade Sergent ?"

L'allusion au grade inférieur du Xadaganien avait fait mouche. Celui-ci serrait les dents, verts de rage.
Il allait reprendre lorsqu'une voix ferme et claire le coupa :

"Vous êtes aux arrêts sur demande du Comité, Camarade Lieutenant."

Le nouvel arrivant n'était autre que Georgi Batalov, le colonel du camp.
Un homme à la fière stature, le crane impeccablement rasé, au regard inquisiteur bleu acier.
Si il avait semblé apprécier le Zem durant les jours passés, son visage était aujourd'hui un masque d'impassibilité.

"Des actions étranges de votre part ont été rapportées au Comité et, bien que vos états de service soient excellents, il ne sera pas dit que je laisse un traitre potentiel agir à sa guise dans MON camp. Aussi ai-je été chargé de m'assurer personnellement de votre loyauté par tous les moyens que je jugerais nécessaire. Tout ce que vous direz et ferez sera consigné dans mon rapport, jusqu'à ce que j'en ai décidé autrement. Mon aide de camp, le camarade Dimitri, me secondera dans cette tâche."

Eskarioth pesta intérieurement. Il était dans de beaux draps : L'aide de camp était, comme par hasard, un psionique spécialisé dans l'interrogation des détenus. Qui avait bien pu le vendre ? Son cousin ? Non... Même si il avait peu confiance en lui, le sorcier savait que c'était un pragmatique : il n'aurait pas risqué de lui montrer un dossier classé confidentiel pour ensuite le balancer aux autorités. En premier lieu, il fallait retrouver son calme. Et trouver rapidement une stratégie. On ne dupe pas aisément un psionique de l'Empire.

Quelques minutes plus tard, le Zem se retrouvait menotté sur une chaise, sous la tente du colonel. Dimitri était assis en face de lui, le fixant sans ciller. Le psionique était déjà en transe, prêt à faire son office tel un bourreau. Il s'exprima de manière claire, presque mécanique.

"Pour la troisième fois, camarade Lieutenant, veuillez-nous dire avec qui vous complotez contre l'Empire...
- Pour la troisième fois, Lieutenant-Colonel, je vous dis que je sers l'Empire et que je n'ai jamais eu la moindre intention de le trahir. Je ne complote avec personne contre lui."

Soudain, un idée vint à l'esprit d'Eskarioth : Si il était difficile, voire pratiquement impossible de mentir à un interrogateur psionique de l'Empire, il était possible en revanche d'exploiter l'amalgame grossier que représentait la doctrine impériale, ancrée chez tous les "fiers et braves soldats impériaux". Selon la doctrine, Yasker représente l'Empire. Yasker est l'Empire. Tout individu s'opposant à Yasker est un traitre à l'Empire et inversement. C'est sur ce dernier point que le sorcier pouvait essayer de tirer son épingle du jeu : Sa loyauté envers l'Empire en tant qu'institution n'était pas à remettre en cause. Eskarioth savait qu'il resterait à jamais fidèle à l'Empire, et qu'il ne s'engagerait jamais dans une opération qu'il jugerait nuisible pour sa patrie. En revanche, les méthodes et l'état d'esprit de Yasker lui apparaissaient de plus en plus contestables et déviantes. Et il ne se sentait plus le devoir de lui être fidèle et loyal. Ce dernier resterait certainement en place tant qu'il serait utile à l'Empire... et tant qu'il aurait assez de pouvoir pour maintenir son emprise au sommet de celui-ci. Mais cela, comme toute chose, n'aurait qu'un temps. Du moins c'est ce que le Zem espérait.

Voilà ce qu'était la solution : il ne fallait qu'écarter de ses pensées toute allusion à Yasker. Se concentrer sur l'Empire, et uniquement sur l'Empire. Et la loyauté sans failles qu'il éprouvait à son égard. Cela pouvait marcher. Cela DEVAIT marcher. Il n'y aurait pas de second essai. L'Arisen se prépara mentalement à la prochaine phase de l'interrogatoire.

Dimitri tourna la tête vers le colonel Batalov.
Ce dernier fit un hochement de tête affirmatif.
Le psionique rapprocha sa chaise de celle d'Eskarioth, lui faisant toujours face. Le Xadaganien enleva le masque mortuaire et il posa le bout de ses doigts sur les tempes du sorcier, le fixant d'un air absent quelques instants, lorsque ses yeux se mirent à briller d'une lueur vaguement rougeâtre. Le véritable interrogatoire commençait. Eskarioth sentit comme des lames de scalpel lui triturer le cerveau, à la recherche de quelque chose. Le Zem hurla de douleur. Il perdit la notion du temps. Il ne saurait dire si tout cela avait commencé il y a quelques secondes, quelques minutes... ou plusieurs heures. Agité de spasmes et de convulsions sur sa chaise, n'arrivant plus à réfléchir de manière sensée, il se concentra dans un ultime effort pour envoyer un dernier message, avec toute la colère et toute la rage dont il était capable de faire preuve :

"Je suis... fidèle à... l'EMPIRE !!!"

Puis vint le trou noir.
Des ténèbres accueillantes et reposantes enveloppèrent son esprit.

De l'eau glacée vînt fouetter son visage.
Eskarioth rouvrit les yeux en grimaçant, une migraine atroce venant lui rappeler ce qu'il venait de subir et où il était. Il ne tarda pas à voir Dimitri, en train de se laver le visage, nettoyant les larmes de sang qui avaient coulé sur ses joues. Un contrecoup des interrogatoires. Autant les psioniques Arisen avaient réussi à éliminer ce fâcheux effet secondaire, autant il restait toujours douloureux pour les Xadaganiens d'avoir recours à ce mode d'interrogatoire. Il ne fallait pas s'étonner après pourquoi les mentalistes non-Zem étaient si peu courants, et peu enviés dans l'Empire...

Reprenant contenance, Dimitri fit face à Batalov.

"Il semble vraiment loyal à l'Empire, colonel..."

Ce dernier regarda du coin de l'oeil le Zem d'un air perplexe.

"Je voudrais en avoir le cœur net sur le terrain. Placez-le sous menta-surveillance et envoyez-le sur sa prochaine mission."

La menta-surveillance. Il était finalement bon d'avoir un psionique dans la famille. Et de savoir où se situaient les limites des procédés d'interrogatoire. Si la fouille mentale nécessitait un contact direct avec la victime ou une proximité n'excédant pas quelques mètres, la menta-surveillance pouvait s'effectuer même à plusieurs kilomètres de distance, mais restait une surveillance de surface : Si le psionique ne pouvait surveiller les pensées, il pouvait en revanche voir par les yeux de la cible les faits et gestes de cette dernière. Et si celle-ci s'avérait avoir un comportement douteux, une décharge mentale venait assommer la victime. Et il ne suffisait plus qu'à venir récupérer le corps inanimé. Toutes ces informations étaient évidemment classées confidentielles, et en aucun cas accessible à l'officier moyen, même au sein de l'armée.

"Lieutenant Amkesh,
Votre prochaine mission sera d'éliminer une dizaine de dissidents de l'Empire, se terrant au Fourré Eméché.
En fonction de vos actions là-bas, nous déciderons de votre sort."

Eskarioth hocha la tête silencieusement.
La situation lui convenait parfaitement. Une fois de plus, l'approximation grossière de la doctrine impériale allait jouer en sa faveur : Selon elle, les traitres de l'Empire étaient tous à mettre dans le même sac, car tous les traitres œuvraient ensemble, main dans la main, à la chute de l'Empire. Le beau conte à dormir debout que voilà. Une chose interpella néanmoins le sorcier. Le colonel Batalov était un officier à l'esprit vif et cartésien. C'était étrange qu'il envoie le Zem "prouver sa loyauté" sur une mission aussi banale qui ne prouverait rien, en fin de compte. Le sorcier aurait juré que le Xadaganien faisait partie de ces personnes qui étaient parfaitement conscientes que les traitres à l'Empire étaient multiples, avec des motivations diverses, et complètement indépendants les uns des autres. A moins que...

Le sorcier partit en mission, de nombreux doutes en tête. Arrivé au fourré éméché, il s'acquitta de sa mission méthodiquement et sans scrupules, éliminant un par un les rebelles sur lesquels il tombait. Après une petite heure, il était de retour au camp.

"Je n'ai relevé aucun acte ou comportement suspicieux lors de la mission, Colonel.
Le camarade lieutenant Amkesh a éliminé les rebelles sans la moindre hésitation et avec l'efficacité qu'on attend d'un loyal combattant de l'Empire.
- Bien, vous noterez cela dans votre rapport, camarade Lieutenant-Colonel."

Batalov se tourna alors vers le Zem :

"Quelques dernières questions, et nous vous libérons si la réponse nous satisfait, camarade Amkesh.
Pourquoi travaillez-vous toujours seul ? Et quelle raison à cette manie de - hahem - détériorer le matériel de l'Empire utilisé pour veiller à votre sécurité et votre bien-être dans notre belle capitale de Nezebgrad ?"

Eskarioth sourit intérieurement. Nous y voilà. Le cousin avait raison : Griller régulièrement les mouchards de sa chambre devait inévitablement, tôt ou tard, agacer les services de renseignements du Comité. Le Zem avait néanmoins prévu qu'il devrait répondre, tôt ou tard, de ce comportement.

"Si je travaille seul, c'est principalement pour des raisons de discrétion, et de commodité : Je doute par exemple que beaucoup de camarades impériaux pourraient tenir la distance et faire de même lorsque je me téléporte sur de courtes distances à plusieurs reprises pour brouiller les pistes... Quant au matériel de l'Empire endommagé, je n'aime pas être écouté ou observé par une personne dont je ne connais même pas l'identité. Après tout, qui me prouve que celui qui m'épie n'est pas un traitre à l'Empire cherchant à soutirer des informations à partir de mes faits et gestes ? Si le Comité a des questions à me poser, qu'on vienne me le dire en face ou qu'on m'envoie un représentant avec la perquisition officielle, et je serais ravi d'y répondre quel que soit le sujet."

Le colonel esquissa un petit sourire en coin, avant d'ajouter :

"Camarade Dimitri, vous ajouterez la déclaration du camarade lieutenant dans la conclusion du rapport.
Quant à vous, Camarade Amkesh, navré pour toutes ces mesures agaçantes concernant la sécurité de l'Empire. Je suis ravi de nous pouvoir collaborer à nouveau avec un si fidèle patriote !"

Batalov serra fermement la main du Zem, indiquant que l'affaire était close. Toutefois, quelque chose dans son regard montra qu'il n'était pas dupe, que quelque chose était resté enfoui lors de cet interrogatoire. Mais visiblement, il n'en avait cure. Ou peut-être avait-il compris et acquiescait silencieusement. Comment savoir... ?

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